Thomas Drelon, êtes-vous sérieusement franco-britannique ?
Je suis techniquement français d’un père palois professeur d’anglais mais d’une mère nord-irlandaise, et non pas du côté du protestant mais presbytérien! Donc de cette souche écossaise calviniste des Lowlands venue sous Jacques I et sous Charles I mettre gentiment les catholiques irlandais dehors
Donc je suis plus britannique que les Anglais mais également très irlandais. L’Ulster étant probablement la terre irlandaise par excellence, celles des légendes et des cycles poétiques mais également le théâtre du début du christianisme en Irlande, saint Patrick ayant fondé à Armagh le premier évêché de l’île.
Foncièrement britannique d’un côté, pour le meilleur et pour le pire, ayant grandi en Picardie dans une ville rasée à 70% par la WWI et non loin du lieu où Wilfried Owen a rendu son âme de plus grand poète de la guerre. Avec un arrière-grand-oncle tué à Vimy sous les armes du Canada et mon grand-père sous les ordres de Lord Mountbatten dans le Pacifique dans la Royal Navy.
Foncièrement irlandais également de l’autre, une simple intonation irlandaise me fait replonger dans le paradis perdu de l’enfance. L’esprit irlandais est pour moi fondamentalement orphique et mélancolique, un mélange d’esprit musical et poétique par excellence. Et c’est surtout un attachement à une terre qui est une mer, un paysage, de la lumière, une histoire, une âme.
Plus simplement nous avons grandi avec les Beatles et la BBC, les Penguin Books et Ladybird books, donc sur une longitude et une latitude très anglo-irlandaise.
Donc oui je suis très profondément et très gravement « No King of England if not King of France ».
Je me souviens de l’émotion intense et vibrante visitant la première fois Windsor Castle, fondée par Guillaume le Conquérant, pénétrant dans la grande et sublime WaterlooCchamber, parée de tous les superbes portraits de Sir Thomas Lawrence, plein de noblesse et de grandeur, tous ces magnifiques portraits des dignitaires du Traité de Vienne et couronnant le tout, le portrait en pied, in his redcoat holding the Sword of State, l’irlandais Wellington. Je puis vous dire qu’à ce moment-là je me suis senti plus que fier de faire partie de cette grande famille impériale et de ressentir si puissamment ce grand moment d’Histoire: le tout début de l’influence britannique sur le monde, arrachée à la France de Napoléon I et plus tard cédée à nos chers cousins américains.
Mais surtout entrelacée à tous ces portraits, les « Honni soit qui mal y pense » et ces « Dieu et mon Droit », témoins de la racine française de la monarchie anglaise, création normande et angevine. Comme si le prestige et la grandeur britannique des XIX et XX siècles venaient en ligne directe de la Maison de France. Il ne faut jamais oublier à quel point 1066 est une date fondatrice de la monarchie anglaise, autant que 987 est la date fondatrice de la monarchie capétienne en France.
« ‘Tis I Hamlet the Dane! »
« C’est moi Hamlet le Danois! »
« Danois » c’est ainsi que l’on nommait les aristocrates anglais d’origine normande.
Shakespeare dit donc c’est moi Hamlet, le Français!
Ai-je répondu à votre question ?
Dîtes nous quelques mots sur vos activités, vos hobbies et l’écriture?
Je suis imprimeur (de livres d’art) pour vivre et pour vivre j’écris, depuis près de 30 ans. Ce n’est pas véritablement un hobby mais une condition première, on pourrait dire une « passion » mais on est encore loin du compte. Écrire est une bénédiction et une malédiction. Ce « jeu » est un autre pour voler à Rimbaud sa terminologie de sa prométhéenne lettre dite du voyant.
Vos conférences traitent souvent de Shakespeare ou alors de princes écossais… auriez-vous percé quelques secrets ?
J’ai écrit un essai sur le portrait, un drame historique sur Charles Edward Stuart connu sous le nom légendaire de Bonnie Prince Charlie, « Le roi ne meurt jamais » publié en février 2015, préfacé par Michel Duchein.
Je ne sais pas si j’en ai percé le mystère mais sa destinée shakespearienne et tragique m’a lancé indirectement sur la piste d’Edward de Vere, XVII comte d’Oxford, connu sous le nom de guerre (et de plume) de Shake Speare.
Je n’ai moi même rien découvert mais je me suis fait l’humble ambassadeur français d’une glose existante depuis 100 ans désormais.
La « confession » oxfordienne étant le courant principal de cette nouvelle Église Réformée défiant le créationnisme et le « papisme » stratfordien…
Nous sommes là pour briser l’idole géorgienne et victorienne de Stratford à coups de marteaux et plaider la cause d’Edward de Vere, auteur de la poésie shakespearienne, sacrifié pour raison d’état, critiquant l’hypocrisie du mythe national de la Reine Vierge/Gertrude et ridiculisant Lord Burghley/Polonius architecte de la nouvelle Grande Bretagne Impériale et Protestante.
Voilà pour le pavé dans la mare.
De votre expérience franco-écossaise, quel souvenir est pour vous le plus marquant ?
Probablement l’accueil de Sir Peter Ricketts, en 2015, ambassadeur de Sa Gracieuse Majesté à Paris à Saint Germain-en-Laye.
Ayant été à l’époque élu au comité directeur de l’Association Franco-Écossaise, j’avais invité Sir Peter à une conférence sur Bonnie Prince Charlie. Il n’a pas pu s’y rendre mais nous a rendu visite à l’ancien Collège des Écossais dans le 5eme arrondissement, ayant par le passé travaillé avec son directeur de l’époque Jacques Leruez.
Ne connaissant pas Saint-Germain-en-Laye, je me suis proposé de lui organiser une visite, travaillant de mon côté avec les équipes de la communication de la ville.
M. le maire Emmanuel Lamy et une belle partie de l’équipe municipale ont ainsi accueilli Sir Peter et son épouse. Nous avons visité l’église de Saint-Germain où repose Jacques II d’Angleterre (et Jacques VII d’Ecosse, non, non, il n’y a pas deux rois… c’est ce que l’on appelait l’union des deux couronnes) et dont le tombeau aménagé par la reine Victoria était en cours de restauration (entièrement financée au bénéfice de la bonne ville de Saint-Germain-en-Laye par la Fondation Catholique Écossaise, soutien de l’Association Franco-Écossaise).
Nous avons eu par la suite le bonheur d’être accueilli par Hilaire Multon, alors conservateur en chef du Château de Saint-Germain (actuel Musée des Antiquités Nationales) qui nous a donné une brillante présentation de ce lieu siège de la cour de France pendant près de 40 ans et généreusement prêté par Louis XIV à son malheureux cousin au premier degré Jacques II.
La visite fut coiffée d’une belle balade sur les toits du château où nous avons pu découvrir la vue extrêmement spectaculaire sur la vallée de la Seine, magnifiée par de somptueuses couleurs d’automne alentour.
Quand on sait l’importance que Sir Peter Ricketts (qui est désormais Lord Peter Ricketts et un Lord très pro-européen), a joué dans les Accords de Lancastre de 2010, (accord de coopération militaire entre la France et le Royaume-Uni, il en a été un des grands architectes et rédacteurs), je pense que oui je me suis senti quelque peu utile d’avoir modestement participé à un beau moment de connection franco-britannique… et plus intimement franco-écossais.
En un lieu si chargé d’histoire entre nos deux grandes puissances. Jadis opposées mais foncièrement de la même famille et désormais unies depuis plus de 120 ans par notre précieuse Entente Cordiale.
Pour des jeunes qui s’intéressent à la France et au Royaume-Uni… quel conseil leur transmettre?
« Je dirais aux jeunes de commencer par lire les deux tétralogies historiques de Shakespeare et de lire Waverley de Walter Scott, de lire tout Oscar Wilde et le parisien James Joyce, la bouleversante poésie de Wilfried Owen, d’aller voir Anton Van Dyck et les grands portraitistes anglais du XVIIIeme de Thomas Gainsborough à Sir Thomas Lawrence, jusqu’à Francis Bacon d’écouter Henry Purcell et les Beatles, les deux sublimes albums The Celtic Viol de Jordi Savall (airs irlandais et écossais), d’écouter The Corries en mode stade, Radiohead à la folie, Suede en boucle. Portishead aux bords du monde, the Kinks, Dubwar, Therapy?, Ned’s Atomic Dustbin, Massive Attack, Compulsion, Baby Chaos, de l’insolence aux bords des lèvres, Jimmy Somerville, Led Zeppelin et Bert Jansch, Nick Drake, Elgar, David Bowie dans le cosmos, d’écouter la si belle voix de George Michael, (et globalement tous les glorieux homos anglais des années 80) mais également les si élégantes Scottish und Irish Lieder de Haydn et Beethoven, tout Haendel bien sûr, et de réaliser que quoiqu’on en pense de Muse, c’est peut-être le dernier groupe d’une musique de morts vivants. Et pardon pour toutes celles et tous ceux que j’oublie ! Je leur recommanderais à Londres d’aller voir la si versaillaise Wallace Collection, mais aussi Windsor Castle, Hampton Court, le Globe Theater, Apsley House, the Sir John Soane’s museum, le V&A, Tate Modern, d’aller en pèlerinage au 8, Royal College Street, où Rimbaud vécut. C’est à Londres qu’il composa en partie ses Illuminations, sommet absolu de la poésie française. D’aller déguster les très bons fromages britanniques à Borough Market et de vous enivrer au « Kent », le champagne anglais, de participer à une Burn’s Night et assister à la cérémonie du Haggis poignardé au son de la cornemuse et boire le meilleur whisky de votre vie entonnant des sea-chanties, des jacobites songs par cœur des le second refrain et danser une gigue punk avec une inconnue…
De lire enfin « Mes jeunes années » de Churchill, probablement l’un des plus grands livres d’aventures jamais écrit. D’enchaîner avec la magnifique étude sur Lord Mountbatten écrite par François Kersaudy.
On apprend infiniment sur la France en fréquentant la culture britannique et irlandaise et inversement.
Il n’y a pas deux cultures et deux histoires politiques qui ne soient pas à ce point imbriquées et partagées que les cultures française et British/Irish. C’est un trésor et une richesse absolue qu’il nous faut cultiver, préserver, célébrer, recréer, stimuler, « enthousiasmer ». Le vrai salut de la civilisation européenne, sa jeunesse, son audace, son intelligence, sa puissance universelle sera franco-britannique et franco-irlandaise ou ne sera pas. Il constitue l’axe d’équilibre par excellence qui redonnera à l’Europe sa place dans le monde: un phare, une lumière, un défi, une promesse.
Les deux grandes patries des libertés universelles, les deux grandes patries ayant marqué le globe de leur empreinte, leur sang, leurs langues, leurs voix mêlées aux cinq continents, liant l’humanité en une tumultueuse famille universelle en devenir.
« No King of England if not King of France ! ».
Et comme le rappelle la devise en français dans le texte du comte de Southampton à qui Shakespeare a dédicacé ses premiers poèmes et très vraisemblablement ses 154 sublimes Sonnets, sommet de la langue anglaise :
« Un pour tous, tous pour un! »
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