Contre-amiral Patrick Chevallereau

Le Contre-amiral Patrick Chevallereau est Attaché de Défense à l’Ambassade de France au Royaume-Uni depuis 2015. Investi depuis 18 ans dans les relations internationales de défense, il est spécialiste de l’OTAN et de l’Europe de la Défense.

Pouvez-vous évoquer votre parcours ? Quand est-ce que celui-ci a pris un tournant franco-britannique ?

Je suis officier de marine et pilote de patrouille maritime. La première partie de ma carrière était purement opérationnelle. J’ai ensuite embrassé une carrière politico-militaire orientée vers les relations internationales. J’ai été chef de la division Euratlantique de l’Etat-major des Armées, qui traite des relations internationales militaires avec l’OTAN, l’UE, l’ONU et une cinquantaine de pays de l’hémisphère Nord dont le Royaume-Uni. Depuis septembre 2015, je suis Attaché de Défense à l’Ambassade de France en Grande-Bretagne.

Comment définiriez-vous la spécificité de la relation franco-britannique dans le domaine de la défense ?

C’est une relation ambitieuse et concrète. Ambitieuse car elle est pilotée au plus haut niveau politique au travers des Accords de Lancaster House de novembre 2010. Concrète car elle s’applique à des projets opérationnels et à des programmes d’armement. Cette relation de défense entre Paris et Londres est une priorité.

Comment percevez-vous le futur des relations franco-britanniques dans le contexte post-Brexit ?

Théoriquement, aucun effet mécanique majeur ne devrait être observé puisque les Traités de Lancaster House sont indépendants de l’appartenance des deux pays à l’Union Européenne. Néanmoins, il pourrait y avoir des effets de bord sur la question des programmes d’armements dans la circulation des biens et marchandises. Le Brexit pourrait aussi avoir un effet psychologique sur la relation de défense. Cela dépendra de la manière dont se dérouleront les négociations et du degré de confiance qui s’installera au plus haut niveau des deux Etats. La relation franco-britannique de défense a besoin d’une impulsion politique régulière, même si les praticiens de cette relation – Etat-major des armées, Délégation Générale de l’Armement en France et leurs homologues britanniques – sont convaincus que travailler avec leurs voisins d’outre-Manche dans les domaines de la sécurité et de la défense est incontournable.

La possibilité que l’Ecosse se détache du Royaume-Uni est-elle selon vous un risque pour la défense britannique, puisqu’une base navale importante se trouve en Ecosse ?

La base de Faslane, qui accueille les sous-marins nucléaires britanniques, se trouve effectivement en Ecosse. Le principal parti écossais, le Scottish National Party (SNP), s’oppose au stockage et au stationnement d’armes nucléaires sur le territoire écossais. Il est certain que les Britanniques auraient un problème en cas d’indépendance de l’Ecosse. Ce scénario est pour le moment assez improbable, mais nous le gardons à l’esprit.

Les traités de Lancaster House ont-ils tiré les leçons des échecs de la déclaration de St-Malo effectuée par Tony Blair et Jacques Chirac en 1998 ?

Oui, je le crois. On a pu observer que dès l’origine, Lancaster House bénéficiait d’un dispositif de pilotage très structuré et que la coopération était dirigée au plus haut niveau par l’Elysée et le Cabinet Office. S’étend en-dessous toute une arborescence de projets très concrets et de groupes de travail avec des rendez-vous sur objectif. Je pense que c’est une conséquence de St-Malo. On a voulu donner les moyens du succès aux traités de Lancaster.

Vous avez évoqué l’importance de l’impulsion politique. Depuis la signature des Accords de Lancaster House en 2010 par David Cameron et Nicolas Sarkozy, de nouveaux chefs d’Etat sont à la tête des deux pays. Un changement de cap pourrait-il avoir lieu ?

Aucun changement de cap n’a eu lieu pour le moment. Il est certain que la signature des Traités de Lancaster House a été fondée sur l’impulsion forte donnée par David Cameron et Nicolas Sarkozy, qui ont tous les deux considéré la nécessité de s’engager dans une telle relation. Cela n’a jamais été remis en cause par les successeurs. Néanmoins, l’intensité de cette relation de confiance sur les questions de défense et de sécurité a besoin d’être alimentée en permanence, à travers les sommets franco-britanniques notamment. La question qui se pose pour le futur est la date et le contenu du prochain sommet franco-britannique.

Si l’impulsion n’est pas donnée, le “train” des Accords de Lancaster House pourrait ralentir. Mais je ne crois pas qu’il pourrait « dérailler ». Le Royaume-Uni a besoin de la France et la France a besoin du Royaume-Uni. Le Brexit ne change rien à cette situation, au contraire. L’objectif « Global Britain » énoncé par le Premier Ministre Theresa May ne peut se satisfaire d’une relation bilatérale dont l’intensité diminuerait. On observe objectivement une convergence d’intérêts stratégiques entre le France et le Royaume Uni, deux puissances moyennes dotées de l’arme nucléaire et disposant d’un siège au conseil de sécurité de l’ONU. Ce que décide l’un a un effet sur l’autre. Les deux pays sont condamnés à travailler ensemble. Les Accords de Lancaster connaîtront peut-être des hauts et des bas selon le mood politique, selon les difficultés de l’environnement médiatique qui peut accompagner des négociations difficiles dans d’autres domaines, mais je crois que Lancaster House est un traité très durable.

Le Royaume-Uni a récemment été frappé par le terrorisme et la France a elle aussi subi de graves attentats. Une coopération est-elle prévue dans les Traités de Lancaster pour contrer le terrorisme ? Envisagez-vous d’aller plus loin ?

Il y a un volet sécurité au sein du périmètre de Lancaster House. Notre Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) échange avec ses homologues britanniques du Cabinet Office. Ce n’est pas le volet dont je m’occupe personnellement mais c’est une dimension très importante de la coopération car la menace terroriste est commune et constante. C’est un domaine de coopération fort et une priorité pour les gouvernements dans le cadre de la protection de la population. Je pense que la coopération va se renforcer.

La France pilote de manière plus étatique que le Royaume-Uni le secteur de la défense et des industries qui lui sont liées. Comment s’est organisée la coopération industrielle entre la France et le Royaume-Uni dans le cadre des traités ?

Il y a deux niveaux de travail : un niveau institutionnel, avec des institutions comme la Direction Générale de l’Armement (DGA) qui traite avec des homologues du Ministère de la Défense britannique, et un niveau industriel. On ne peut faire de projets sans la participation des industriels. Les modalités de la relation entre la partie étatique aux industriels n’est en effet pas la même des deux côtés de la Manche. Ce n’est pas toujours simple mais cette coopération est pilotée par des groupes de travail de haut niveau qui se rencontrent régulièrement. Lorsque des difficultés émergent au niveau des industriels, on passe au niveau institutionnel et politique.

Que pouvez-vous dire de la culture militaire et ses valeurs de l’autre côté de la Manche ?

J’observe surtout des similitudes entre militaires Français et Britanniques. Les deux forces armées partagent un esprit combattif commun, le sens de la mission, l’attachement aux valeurs, le sérieux dans l’exécution de la mission et la capacité à prendre des risques. Il est certain que les écoles de formation britanniques ne sont pas la réplique identique des écoles de formation françaises. L’environnement culturel est différent mais les divergences sont très vites effacées par l’analyse qui est faite de chaque côté que l’interlocuteur qui est en face est à la fois sérieux et crédible. Dans une coopération bilatérale, y compris en opération, c’est extrêmement important. Il existe un programme ambitieux d’échange d’officiers entre la France et le Royaume-Uni. Environ 50 officiers français sont présents au Royaume-Uni et 50 officiers britanniques ont rejoint des unités ou des états-majors français. Il y a un exemple que j’aime mentionner qui représente bien la confiance mutuelle entre les deux pays : des pilotes français sont aux manches d’appareil britanniques pour effectuer des opérations de combat tandis que des Britanniques pilotent des appareils français.

Avez-vous pu observer un management différent des ressources humaines dans l’armée au Royaume-Uni ?

Les Britanniques ont un système qui s’appelle le « Military Covenant », chargé de soutenir les militaires dans leur vie professionnelle et familiale. Le système français est assez différent. Les Britanniques sont confrontés à la question de la fidélisation et de l’attractivité pour leurs forces armées. C’est intéressant de travailler ensemble sur les questions de ressources humaines et les questions opérationnelles, en observant ce que fait l’autre, en échangeant et en partageant les leçons de ce que l’un ou l’autre expérimente dans un domaine particulier. Le dialogue militaire est absolument permanent à tous les niveaux entre la France et le Royaume-Uni.

Quelle a été la réaction des Britanniques au retour de la France au sein de l’OTAN en 2009 ?

Les Britanniques sont très satisfaits du retour de la France au sein de l’OTAN, c’est un des facteurs qui a sans doute contribué à favoriser la signature des Traités de Lancaster House. C’est un élément rassurant pour les Britanniques de savoir que la France appartient de nouveau à la même communauté intégrée de défense. Ce retour a ainsi pu lever certaines réticences.

A contrario, du point de vue de Washington, comment est vu ce rapprochement franco-britannique dans le domaine de la défense ?

Je pense qu’il est bien vu. Les Etats-Unis cherchent des partenaires fiables et crédibles. Ce qui renforce la crédibilité et la fiabilité des partenaires est donc une bonne nouvelle pour les Américains. Les Etats-Unis souhaiteraient un meilleur partage du fardeau dans la gestion des crises du monde et dans la prise de responsabilité. Le fait que les Français et les Britanniques travaillent ensemble et mettent sur pied une force opérationnelle conjointe capable d’agir dans le haut du spectre des opérations est nécessairement positif pour eux.

En tant qu’officier de marine, considérez-vous qu’il faudrait investir d’avantage l’espace maritime de la Manche ?

La Manche est plutôt un très large fleuve qu’un vaste espace maritime. C’est un couloir avec un des trafics maritimes les plus denses du monde. La Manche possède un potentiel économique extraordinaire, avec des énergies renouvelables comme l’hydraulique et l’éolien, avec des zones de pêche comme la baie de Seine et avec des ports maritimes importants et vitaux pour l’économie comme le Havre. Je ne pense pas qu’il y ait une problématique militaire en Manche, c’est d’avantage une problématique économique d’exploitation des ressources et de sécurité de la navigation dans un espace assez restreint. Cette problématique relève en France notamment de ce qu’on appelle l’action de l’Etat en mer. La Manche est une zone de coopération forte entre la France et le Royaume-Uni sur des sujets comme la planification sur les espaces maritimes avec les couloirs de navigation et l’installation de futures énergies renouvelables.

Quel militaire britannique vous inspire le plus ?

Je ne devrais pas le dire, parce que je suis un officier de marine fier de notre marine nationale et de son histoire, mais c’est sans doute l’amiral Nelson. Il a été un marin extraordinaire avec une vision, un sens tactique et un sens du commandement peu égalés dans l’histoire navale.

Qu’appréciez-vous dans la vie à Londres ?

Londres est une très belle et une très grande ville. Je dirais que Paris a du charme mais que Londres a du caractère. C’est une ville qui vit énormément, très dynamique, qui a un rythme. A la manière de New York, à une autre échelle, elle est une ville-monde. Aujourd’hui, Londres est internationale avant d’être britannique.

Et dans la culture britannique ?

Son ouverture aux influences des autres culture tout en sachant conserver une forte identité.

Interviewed by Lise Péron
Franco-British Portrait Gallery